Préambule :
Depuis le temps que je m'entraîne ; depuis le temps que je le prépare ; depuis le temps que j'en rêve !
Il est là ; à une portée de pieds.
Sommes-nous prêts ? Je pense que oui !
L'entraînement a été costaud, mais sans plus. J'en profite pour remercier mes camarades traileurs : les ardennais noctambules : Patrick, Gilbert, Élie, Bruno, Dominique et Michel. Et aussi les mahorais qui m'ont accompagné tous les dimanches dès l'aube et qui en ont bavé eux aussi : Ali, Pierre, François et Daniel !
Sans leur soutien, ma préparation aurait été moins efficace, c'est certain !
Côté matériel, j'ai un peu investi, mais sans plus : un plus gros sac, et quelques paires de chaussettes supplémentaires. Minimaliste ! Je n'ai qu'une seule paire de chaussures ; celle qui a servi aux entraînements et que je connais bien ! Ah , j'oubliais la caméra Gopro ! Là, je me suis fait plaisir !
Il est vrai que j'ai des sponsors.
Non ! Pas des marques. Mais la number One : Françoise. Elle a pensé aux buffs ( bandanas larges) en plus, et au tee-shirt à longues manches ; à l'indispensable veste gore-tex vraiment imperméable. A des maillots de rechanges un peu moins pourris que les miens ; à des boxers qui n'irritent pas les endroits délicats...Et la tenue moulante et compressive Salomon, c'est aussi elle !
N'oublions pas "Maria et Philippe", petite entreprise ardennaise spécialisée dans la fourniture de maillots chauds "seconde peau" à longues manches.
Tout est calé au mieux, même si je sais bien qu'une telle course réserve toujours des surprises de taille !
La première arrive même avant le départ : neuf bornes en plus ! Nous éviterons le Taïbit et passerons par Hellbourg, et le refuge du Piton des Neiges, nouveau point culminant à plus de 2478 m.
Jour J :
J'ai la chance de ne pas trop ressentir de pression avant la course. J'ai bien dormi les jours précédents et l'après-midi aussi. Je suis plutôt tranquille ; bien plus que Françoise qui s'inquiète beaucoup pour ma santé.
Le temps de dépose des sacs intermédiaires est un peu long sur le site de Saint Pierre. Je suis serré comme une sardine en boîte pendant plus d'une heure ; pas grave ! Les autres ne partirons pas sans nous.
Quelques brèves paroles avec Ludo et Hervé ; et c'est parti dans une ambiance de 14 juillet !
Que la fête commence !
(Je conseille le mode PLEIN ÉCRAN pour les vidéos : clic en bas à droite après le lancement de chaque vidéo)
A voir tous ces visages radieux ou concentrés, ces équipement impeccables, ces regards déterminés, il est difficile de s'imaginer que seulement 51% de tous ces fous atteindront Saint Denis (1147 "survivants" sur 2200 partants !)
Il est dit que cette édition sera celle des records de distance et du nombre d'abandons.
Le voyage, le chemin : du Domaine Vidot à Roche Plate
Cela commence par une longue partie sur route. Moins de 10 km/H, et on explose la moyenne horaire.
Certains trouvent cela pénible ; pas moi ! Ce départ à rythme régulier permet de chauffer les diesels.
Et l'ambiance dans les villages est digne de celle d'un Sedan-Charleville, mais de nuit.
Puis les choses sérieuses commencent avec la montée vers la forêt, Piton Sec et Piton Textor. Tout irait bien et ces 40 bornes seraient passés comme lettre à la poste, s'il n'y avait la pluie battante, le vent et le froid.
Sans ma veste totalement imperméable, j'aurais difficilement pu continuer. La première vague d'abandons à Mare à boue survient.
Le vent et la pluie glaciale fouettent les visages, la brume écrase les paysages et finit d'accabler quelques coureurs qui n'avaient pas imaginé cela.
Je gère cela sans trop m'alarmer ; je perds plus de 120 places, mais je sais que la route sera longue.
Direction Cilaos sans trop se presser ; il faut dire que je commence à fatiguer un peu.
Pour les barrières horaires, j'ai encore une marge de plus de quatre heures trente.
Comme prévu, c'est au km 66, sur le stade de Cilaos que je pique un somme de trente minutes, le seul de toute l'épreuve. Je tombe en quelques secondes, et c'est le réveil du portable qui me ramène à la réalité.
Avant de dormir sur l'herbe et au soleil, j'ai pris un bon repas : poulet rôti et pâtes, yop et pomme !
Le tout arrosé d'un mélange coca/eau qui me conviendra tout au long de la course.
Et les gels et autres barres, me direz-vous ? Je les ignore très rapidement, et les promène dans les poches latérales du sac. Il est vrai que cette épreuve n'est pas en auto-suffisance et que les ravitos sont de vrais banquets. Contrairement à ce que j'avais prévu, je marche aux bouts de fromage, à la soupe aux vermicelles, aux canapés au pâté, aux tucs, au chocolat, aux morceaux de bananes et aux raisin secs. Eau, coca et isostar pour la boisson : environ une trentaine de litres sur deux jours.
Cela paye, puis que je n'ai aucune crampe (incroyable chez moi ! ) ; que je ne connais aucune période de grosse fatigue physique (pourtant déjà vécue sur un 35 bornes ), que mon estomac se porte comme un charme, et que les muscles répondent présents.
La montée au Piton des Neiges, que je craignais beaucoup, se fait facilement. Malgré un classement moyen ( 900eme), j'ai maintenant plus de cinq heures d'avance sur les barrières.
Je tends le dos ; ça semble un peu trop facile et ça m'inquiète.
A juste titre, car la seconde nuit va être très éprouvante ; la pluie remet ça vers minuit.
Fort heureusement, un petit groupe de cinq se forme et nous restons plusieurs heures ensemble en maintenant un rythme soutenu. Nous voyons de plus en plus de coureurs camouflés dans leurs couverture de survie et tentant de dormir au bord du chemin. Pas terrible sous la pluie, la nuit et le froid !
Mais je gère... jusqu'à un banal incident technique : les piles de ma lampe frontale commencent à montrer des signes de fatigue elles aussi. Je fais une pause pour les changer. Quelle erreur ! On ne fait pas ça de nuit !
La flotte rentre dans le sac ouvert, je ne vois plus rien (ben oui, sans lumière !) et je ne parviens pas à ouvrir puis à refermer cette p.... de lampe frontale. Les quatre gars avec qui j'étais sont partis.
J'attends alors "patiemment" le passage d'autres coureurs pour sortir de la nuit totale et de mon immobilité qui commence à me glacer.
Cela dure un peu, puis un grand type arrive à mon secours avec sa frontale, et je remets tout en état. Je repars sous la pluie.
Premier coup de mou dans le moral : le froid humide et la fatigue usent petit à petit.
Mais je ne dois pas être le seul dans ce cas, car peu de concurrents me reprennent. Un gars bien sympa se joint à moi et nous crapahutons ensemble jusqu’à Marla.
Heureusement que nous sommes deux, car le chemin est long, long... On alterne course et marche. Pourtant ; au bout du compte, on a mis trois heures pour faire les cinq km qui séparent "officiellement" les deux points de contrôle. Il doit y avoir un schmilblick quelque part ; ça n'est pas possible !
J'arrive donc en pleine nuit dans ce bout du monde ; fatigué et irrité j'interpelle une souriante dame qui sert la soupe : "Ce qu'il peut être loin de tout, votre village !"
Je me change, histoire surtout de me réveiller d'une sorte de torpeur. Dans laquelle je suis loin d'être seul. En croyant me traîner, j'ai repris plus de 200 places depuis le Piton des Neiges. Que de blessés et d'épuisés à Marla ! La gestion des lits de camp est difficile pour le personnel médical. Je voulais me reposer ; je ne peux pas faute de place et je repars en laissant des tas de coureurs aux regards perdus derrière moi.
Le lever du jour dans le splendide cirque de Mafate me redonne la pêche. C'est magnifique.
J'hésite à me poser car ça file vite autour de moi ; pourquoi sont-ils si pressés ?
Tant pis, je m’arrête, sors la caméra et respire le silence en compagnie de deux autres coureurs qui sont du même avis. La route est encore longue. On a fait presque 110 km et il en reste quand même 65.
Et le Maïdo qui nous observe tout là-haut, en plein soleil, n'est pas très rassurant ! J'ai une crainte imprécise, mais je sais qu'il va me faire mal.
Je goutte une dernière fois à la fraicheur de la rivière des Trois Roches, à ce petit matin si doux.
Il est 6h du mat en ce samedi et je suis bien. Pour la dernière fois avant longtemps.
Aller jusqu'au bout : de la montée du Maïdo au Stade de la Redoute à Saint Denis
Quand on lit mal son carnet de route, ça peut couter cher.
Je regarde le sommet à plus de 2000 m et je suis persuadé que l'ascension va débuter maintenant. Je m'y prépare mentalement. En fait, j'aime les ascensions régulières, même si elles sont longues. Je devrais y arriver sans trop de bobos.
Mais après vingts minutes de montée, je redescends, puis remonte, puis redescends sans fin. Deux heures pile pour n'avoir pas pris un seul mètre de dénivelé. J'en ai les pattes sciées ! J'avais oublié ou mal lu que nous passions par Roche Plate avant l’ascension !
Il est 8H du mat en ce samedi matin. Je ne sais plus pourquoi je cours. Il serait si simple de rendre son dossard, et de piquer un somme. J'en ai marre de chez marre de crapahuter ainsi !!!
Mais il faut bien sortir de Mafate ; c'est à pied ou en hélico ! Et Françoise m'attend en haut.
Bon, ben, j'y vais ; sans conviction. En mode bête de somme.
Un quart d'heure de montée et je m'assois. Je n'envisage ni de rester là ni de repartir.
Un soupçon d'énergie me traverse ; je repars en suivant une cohorte de gars pas plus rapides que moi.
Je m'aperçois que je prends un rythme régulier, en compagnie d'un coureur en rouge qui refuse de me dépasser et dit s'accrocher à moi ! Comment peut-on prendre le pas d'un escargot ? Je n'essaie pas de comprendre et j'avance.
Arrive alors, et bien plus vite que prévu le fameux 50/50 : on est au milieu de la montée !
Nous repartons de plus belle ! Quand je vous dis que l’essentiel est dans la tête !
C'est à ce moment qu'apparait la face toujours souriante de Gino, un super coureur local qui ne fait pas le GR cette année, mais qui a déjà quelques jolis temps et classements à son actif.
Il est d'une belle efficacité dans la gestion de la seconde partie de la montée. Merci à lui.
Et puis, c'est une voix plus forte et aussi plus aigüe que j'entends : Françoise est tout en haut et s’époumone en encouragements. Je n'entends qu'elle, mais j'ai les yeux rivés au sol et à l'endroit précis où je vais poser mon pied ; laborieusement.
C'est vraiment dur, d'autant plus que le soleil tape avec une terrible régularité et que le paysage devient aride le long du chemin.
Puis, vient la délivrance; dans la douleur.
Et le repos à l'ombre. Ouf ! Il faut que je me pause ; c'est obligatoire.
Une demi-heure les jambes tranquilles : repos, changement de maillot, sandwiches, eau gazeuse ; mon intendance si précieuse est parfaite .
Nous sommes sortis des cirques ; ça va être moins dur.
Que je crois ! Car plus moyen de courir dans la superbe et très longue descente "facile" vers Sans Soucis
Mes genoux me font souffrir comme jamais : trois heures et demie pour douze km de descente en pente douce ; j'enrage et désespère !
Un coup de mieux arrive sur le plat. Je reprends une bonne cadence jusqu'à l'école de La Possession.
J'ai fait 20 km à bon rythme ; je suis satisfait. Très fatigué, mais plutôt content.
Il me reste vingt bornes pour finir le Grand Raid. Il fait nuit et il sera dit que je ne verrai pas le jour se lever de nouveau avant l'arrivée !!! Peut-être plus facile à dire qu'à faire....
Le dénivelé qui reste à avaler est loin d'être le plus coriace !
Mais c'est sans compter sur le chemin des anglais : des km de larges "galets" (pierres plus ou moins plates) posés assez irrégulièrement. Dans les montées, c'est gérable ; mais les descentes sont de vrais casse-pattes. Les coureurs se raréfient ; il me semble donc que j'évolue mieux qu'eux sur ce revêtement "spécial" et qui ne me plait guère, pourtant. Mon classement semble être de cet avis : j'ai gagné vingt places dans ce dédale.
Allez ; plus qu'une montée : celle du Colorado. Méfiance, toujours. Mais elle est régulière et sans obstacles empierrés ; c'est mon terrain de prédilection. Je passe la vitesse supérieure et j'avale le dénivelé avec détermination et sans trop de mal.
Au Colorado, j'obtiens mon meilleur classement. "Il n'y a plus qu'à se laisser descendre" me dit-on.
Et bien, c'est ici que je passe l'un des pires moments de la course. Je ne peux plus du tout courir, car ce n'est qu'une succession de pierres saillantes. Impossible pour moi de sauter la-dessus comme un cabri, surtout de nuit.
J'ai plutôt l'air d'un pingouin boiteux perdu en pleine montagne. La descente est interminable.
Je me gare de temps à autre pour laisser passer quelques coureurs qui me laissent littéralement sur place. Mon moral est aussi en rade, car je ne sais pas, à ce moment-là, que ces coureurs sont sur le Trail de Bourbon, et pas sur le Grand Raid. Je crois avoir perdu cent places en deux heures. En fait, pas du tout.
Je peste et hurle contre les rochers qui m'esquintent les pieds et les genoux; ma vigilance se relâche dangereusement.
Des cris, des applaudissements ; je distingue de mieux en mieux les lueurs et les voix du stade de la Redoute.
Délivrance : la route est là ; et le public aussi. Je souris. Je veux prendre ma caméra Gopro, mais elle s'est déchargée dans la nuit. Chiotte !
Malgré l'heure (3H15), il y a du monde pour m'acclamer ; ça fait du bien après ces interminables heures de solitude nocturne.
Dernier virage sur le stade : 52H44 ; le contrat est plus que rempli !
Au loin, le speaker ; et puis Françoise qui, plus que soulagée, me prend en photo et me félicite. J'ai encore assez de lucidité pour ne pas raconter trop de bêtises au micro.
La médaille me tombe autour du cou. Il n'y aura pas de prochain ravito ; c'est fini.
J'évite de trop étreindre Françoise en raison d'odeurs de fennec très marquées accumulées depuis toutes ces heures...
Ensemble, nous allons vers le coin restauration qui me parait si loin. La première gorgée de Dodo est un ravissement sans nom !!! Le plat de canard/pâtes un peu moins.
Françoise, mon indispensable, est encore là pour me soutenir ; physiquement cette fois. Car les jambes n'en peuvent plus et les pieds non plus ; ils sont explosés. Les passages humides et trop peu de changements de chaussettes ont eu raison d'eux.
"J'ai survécu" indique le tee-shirt de finisher.
Oui ; je peux en être fier ; mais il est certain que je n'aurais pas pu y parvenir sans l'aide apportée par celle qui a toujours été là pour moi, et qui, de ce fait, mérite une bonne part des félicitations.
Petite anecdote : j'ai "vu" les silhouettes de plusieurs dizaines d'animaux sur les pierres du chemin des anglais ; toutes étaient d'une infinie précision de même que les petites photos d'identité parsemées sur le stade de Saint Denis. Hallucinant, non !
L'histoire s'arrête là ?
Non. Car la fête familiale à laquelle nous avons été invités quelques heures plus tard a été l'ananas sur le gâteau.
Une après-course des plus agréables avec des gens d'une sympathie étonnante ! Pour ne rien gâcher, la cuisine était extra !
Et une question qui m'a déjà été posée bien des fois : "Tu reviendras faire le Grand Raid ?"
Je ne peux, pour l'instant, pas répondre. Mais ça me tente bien de remettre ça un de ces jours, histoire de revoir amis et paysages, de regoûter à la cuisine créole, d'apprécier certains décors naturels que je n'ai pas eu le temps de voir, de m'améliorer dans certains passages.
L'aventure continue...
Merci pour le partage de cette formidable aventure. Tu es un champion. Elle t a donné des ailes ta françoise. Encore bravo à vous 2.Sylvie b
RépondreSupprimerMon petit Didier.Quel beau reportage ; Tu as souffert ! Mais tu est Grand pour le courage(tu aurais dû boire un petit Medoc)Amitiés Michel
RépondreSupprimerun magnifique reportage sur la course le paysage et un enorme plaisir de vous revoir francoise c est epoustouflant cette course bravo à didier bisou ( florence maniere)
RépondreSupprimerQuelle aventure !! Quel courage !! Superbes photos et vidéos !!
RépondreSupprimerEn plus tu es allé jusqu'au bout et avec on résultat plus qu'honorable !!
C'est sûre que la jolie infirmière qui te servait d'intendante a dû sérieusement te motiver !!
La connaissant, elle a du chouchouter son héros au retour !!
Gros bisous à tous les deux
Véro
Merci à toutes et à tous. Du courage, oui, il en faut un peu. Mais n'oublions pas que ça reste du sport, et rien que cela !
SupprimerC'est certain que la présence de Françoise m'a beaucoup aidé ; avant pendant et après. Donc, je ne pouvais que réussir. Ben oui !
Déjà envie d'y retourner ! Quand on a gouté à la "folie" !
Super récit. Tu en as rêvé et tu l as fait. Bravo à vous deux, à Françoise qui t a épaulé jusqu'au bout et félicitations à toi didier d avoir réussi à surmonter les difficultés d une telle épreuve. Vous pouvez être fiers. Merci de nous faire partager votre aventure qui nous donne envie d y participer. Il faut vraiment se préparer. A voir quand je me sentirai prête pour affronter ce grand raid. Bisous à vous deux. Mumu
RépondreSupprimer