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mardi 11 novembre 2014

n° 90 : Même pas mal !



Me voilà arrivée à Mayotte et j'entame ma troisième semaine au Centre Hospitalier de Mayotte.
Je gère le service de chirurgie ambulatoire, le secteur de consultations de chirurgie et les soins externes. Mon devoir de réserve m'impose le silence sur l'ensemble de mes impressions et sur mes observations. Je resterai donc muette sur ces sujets.

Malgré tout, je peux parler de l'expression de la douleur à Mayotte et surtout de ma surprise face aux  réactions rencontrées.

En chirurgie ambulatoire, nous accueillons des gens souffrant de multiples abcès (spécificité mahoraise liée à la chaleur, à l'humidité, à la négligence et au manque de couverture sociale ne permettant pas l'achat des traitements nécessaires). Ces abcès sont souvent monstrueux et bien sûr hyperalgiques. Les patients arrivent le matin très tôt pour être opérés dans la journée et repartir en soirée.
Je suis chaque jour interpellée par l'attitude de tous ces patients face à la douleur. Les adultes, mais surtout les enfants, en souffrance, n'expriment pratiquement pas leur ressenti.
Ainsi, j'ai vu un enfant d'un an avec un volumineux abcès du sein qui, à la palpation du chirurgien, lui souriait. Pas de pleur, pas de cri et l'enfant ne se débattait pas.
Ou encore un enfant de 5 ans présentant un phlegmon du pied avec 38°9 et claudicant sur une jambe qui n'a émis aucune protestation lorsque le chirurgien a appuyé sur l'endroit tuméfié pour essayer d'en faire sortir le liquide purulent responsable de son état...
Les adultes n'expriment pas d'avantage cette douleur lancinante de l'abcès. Lorsque nous essayons d'évaluer la douleur sur la fameuse échelle, ils sont incapables de répondre. Bien sûr, la barrière de la langue peut gêner cette évaluation mais les traducteurs savent transmettre nos demandes. Parfois, j'ai l'impression que notre questionnement sur la douleur est presque une injure.
    "Je suis mahorais,anjouannais ou grand comorien et je ne m’arrête donc pas à ce détail..."



Cependant, le peu d’intérêt que la population porte au symptôme douleur peut entraîner des situations dramatiques. Ainsi des patients arrivent avec des fractures ouvertes de plus de dix jours sans émettre le moindre sentiment d'où des situations fonctionnelles compliquées.

Au bloc opératoire, les bouénis osent se lâcher et font un bruit particulier ( petit claquement de dents) et s'accrochent aux bras des infirmiers (propos confiés par un infirmier du bloc opératoire). Ainsi, le personnel  peut adapter ses gestes.

Il est vrai que les enfants sont élevés sans précaution, sans douceur et sans réelle attention. Les parents ont souvent une petite trique à la main pour administrer des corrections. Les petits sont d'ailleurs livrés à eux mêmes et sont souvent dans les rues sans adulte.

 De plus, le Coran impose aux musulmans de dominer leur douleur. Et les enfants vont très tôt à l'école coranique et baignent dans cette tradition très rapidement.

Cette observation reste limitée à ma toute petite expérience mahoraise. Mon analyse est sûrement très simpliste. J'affinerai sûrement ma réflexion au cours du temps.
Chaque jour, je vois ces enfants et ces adultes douloureux et je ne peux m’empêcher de comparer ces situations à celles rencontrées en métropole...


3 commentaires:

  1. C'est hallucinant, je savais que la résistance à la douleur était différente pour chacun mais pas à ce point... Quelle leçon depuis notre confort en métropole!!!
    Bon courage pour vivre cela au quotidien.
    Gros bisous
    Véro

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  2. C'est surprenant, la réaction des adultes et surtour des enfants face à la douleur.
    J'en ai des frissons dans le dos! Entre la métropole et Mayotte c'est le grand fossé.
    Arrêtons de nous plaindre pour des petits maux! Ils nous donnent une leçon...
    Bon courage et à bientôt de vous lire
    Bizz Fabienne
    Fabienne

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  3. En effet, ici les situations humaines sont très difficiles à vivre. Je vois des pathologies incroyables. Les patients sont très courageux ou bien très désespérés.
    Je suis vraiment dans un autre monde...
    Bisous à toutes les deux

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