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samedi 21 septembre 2013

n° 23 : Une semaine dans la vie de Monsieur Didier

Par Didier

Vous vous demandez peut-être comment se passe une journée ou une semaine à Mayotte. Quelle est donc le quotidien d'un prof des écoles sur cette petite île un peu perdue et dont on ne parle guère à la télé ?

Prenons donc cette dernière semaine, du 16 au 22 septembre. Ça donnera un bon aperçu.
Le lundi est mon jour de décharge. Cela veut dire que je ne suis pas dans ma classe ce jour. Mais je travaille pour les étudiants et les stagiaires qui peuvent être dans l'école. Mais ce lundi, je reste à la maison et je prépare mon animation pédagogique du samedi 21. Tête dans l'ordi toute la journée.
 J'ai peut-être fait la grasse matinée ?  Pas du tout, car le quartier est bien animé : ce sont les innombrables coqs qui commencent vers 3h du mat. Puis le muezzin prend le relai pour la prière de 5 h. Cependant, je dois dire que nous y sommes habitués et que nous ne l'entendons plus, sauf quand il a l'air de faire des concours avec l'autre mosquée du village. Quand ils s'y mettent à deux, ça dépote !
Françoise, restée à la maison devient femme au foyer ; elle cuisine, lave, repasse, lit aussi. Et effectue quelques missions à la ville dont elle vous a déjà conté les péripéties. ( Au cœur du vice -rectorat !!!)
Cette journée du lundi étant donc particulière, je passerai donc aux autres jours de la semaine de travail.
Car, je travaille ; mais oui ! Même à deux pas des cocotiers.

Le réveil sonne à 5H 35. C'est tôt ? Pourtant j'habite sur place ! Mais sachant que les cours commencent à 6H50, et que je me dois d'arriver bien avant pour préparer matériellement la classe, je pars donc vers 6h25. Je descends la ruelle, rencontre des collégiens et des bouenis (femmes), ainsi que les inévitables nichées de poussins . Je longe la mosquée et tombe sur l'école dans laquelle j'arrive toujours le premier pour ouvrir les portes. La rue le long de la mer est déjà pleine de lycéens et collégiens qui attendent le bus pour Sada (commune voisine), Kahani, ou plus loin. Les bouenis vident des cuvettes d'eau, les voitures circulent, les enfants pleurent dans les maisons pas du tout isolées. La vie bat son plein. J'ai déjà dit bonjour à dix personnes au moins en arrivant à l'école. C'est la vie de village ici. Très différente de la ville.
5H45 : Vue de ma fenêtre chaque matin avant d'aller à l'école

Sur le pas de ma porte. J'ai pris soin de prendre la photo quand personne ne passait.

La sonnette de l'école tinte ; tout les instits sont là à l'heure ; c'est assez rare à Mayotte !
Et puis c'est l'arrivée des 32 élèves de ma classe, jamais malades, toujours présents. Ce sont principalement des grands-mères ou des tatas qui les amènent. D'ailleurs, ici, pas toujours faciles de connaître les véritables liens familiaux. Beaucoup d'enfants ne vivent pas toujours chez leurs parents. La structure de la famille mahoraise n'est pas la même que la nôtre. Bien des enfants sont élevés par d'autres membres de la famille. Mais ceci évolue ; surtout chez les mahorais qui ont vécu quelques temps en France métropolitaine.
La matinée de classe dure cinq heures et est entrecoupée de deux récrés. C'est assez fatigant pour tout le monde. On me dit que ce sera pire à la saison chaude ( dès novembre/décembre). En ce moment, il fait frais dans les classes : pas plus de 26-27°.
Les élèves ? Pas vraiment différents de ceux de métropole. On sent qu'ils ont besoin d'une certaine discipline, amis une fois que c'est acquis, on peut vraiment bien travailler avec eux, même si certains ont bien du mal avec cette langue étrangère qu'est le français. De grosses disparités existent selon que la famille parle français ou non.
 Mais tous m'appelle "Monsieur Didier", avec un petit accent très typique.
A Mayotte, on ne fait pas de différence entre nom et prénom. Et comme "Didier" vient avant "Capitaine" dans l'énoncé de mon état civil, je suis devenu Monsieur Didier. Ça me va !
J'ai mis 6 jours pour retenir 32 prénoms et visages ; je peux vous dire que j'ai révisé le soir et avec l'atsem pour tout mémoriser. Ici, pas de Mathéo ou de Justine. Mais plutôt Anrafati, Anichati ou Soummayyah pour les filles et Abdoul, Assidayssi ou Shouraïh pour les garçons. Nasser et Angela me semblent alors très familiers.
Scène de la classe ordinaire


Photos prises par Françoise, qui s'est bien plu dans ma classe
Des élèves intéressés et intéressants
La chance : j'ai une atsem ( agent communal en école maternelle)  efficace et très sympathique. Comme toutes les femmes, elle est en tenue mahoraise.

Le luxe, c'est l'espace dans une classe qui vient juste d'être repeinte. La dernière fois, c'était il y a 17 ans. Ça compense un peu le manque criant de matériel.
Les photos ci dessus n'auraient pas été les mêmes il y a un mois. J'avoue que j'y ai mis de ma poche et de mon énergie pour avoir un espace de vie et de travail digne de ce nom.

La classe se déroule comme dans les Ardennes  : des ateliers, des moments collectifs ; c'est la France et ce sont les programmes français qui doivent s'appliquer, même si....
Et à 12 H15, fin des cours. La traditionnelle "heure des mamans" est particulière : franchement, je ne sais pas trop qui vient rechercher qui. On me parle en Shibushi, shimaoré parfois et on utilise des surnoms pour certains enfants. J'ai un peu de mal à m'y retrouver. Depuis quatre semaines, tous les jours une grand-mère vient me crier dans les oreilles un prénom que je ne connais pas. On a fini par apprendre que sa petite fille était dans cette classe... l'an dernier. Mais elle insiste. SI, si ...
Chiconi, notre commune, a l'énorme privilège de ne pas connaître "la rotation".
C'est quoi, une rotation ? Eh bien c'est une catastrophe : à 12H30, une autre classe, avec un autre maître, prend possession des locaux. Tout ce que vous avez installé ou affiché doit donc être désinstallé en 15 minutes. Et tous les jours. Tous les instits qui me lisent, et même les non-enseignants comprendront que c'est quasiment impossible et anti-pédagogique. D'où le peu d'affichage dans certaines classes !
Pourquoi ce système ? Parce qu'il faudrait le double de locaux par rapport au nombre d'enfants qui croit à une vitesse folle. Une impasse.
Je rentre donc vers 12H45; en nage. Douche immédiate et tenue adaptée : caleçon et c'est tout. Après le bon repas préparé par Françoise et le litre d'eau englouti, sieste quasi quotidienne. Je suis vanné !
Puis il faut penser à préparer la journée du lendemain. A moins qu'une course urgente n'oblige à prendre la voiture pour aller à Mamoudzou. Mais je dois dire que là aussi, j'ai été gâté : c'est Françoise qui s'est farci toutes les sales démarches administratives qui auraient dû m’incomber.
La nuit tombe à 18H00. D'un coup. En semaine, c'est alors dodo vers 22H00 maxi.
Et du mardi au vendredi, c'est le même rituel ; car ici, il y a classe le mercredi.
Donc on fait les animations pédagogiques le samedi matin,  comme ce 21 septembre. L’animateur, aujourd'hui, c'était bibi. Et je dois bien dire que j'ai découvert un monde nouveau... déconcertant.
Mais ça sera peut-être l'objet d'un prochain article.
Ce samedi, Françoise a repris l'avion pour rentrer vers Charleville, via la Réunion, via Roissy.
Les semaines et mois prochains vont être différents, bien entendu...
Je suis passé chez des copains en rentrant de l'aéroport. J'ai pris un auto-stoppeur de 18 ans. Il m'a raconté son village, ses études modestes, ses espoirs, et m'a même demandé des conseils sur l'intérêt de continuer son apprentissage en métropole. C'est aussi ça, Mayotte. Des jeunes attachés à leurs racines, mais inquiets et désemparés face aux exigences des études dans une langue qu'ils ne maîtrisent pas.
Je ne sais pas si j'irai à la plage dimanche. C'est un rituel hebdomadaire pour beaucoup de M'zungus. J'irai aussi courir le matin. C'est plus sûr.

5 commentaires:

  1. Coucou Didier,
    c'est super intéressant de découvrir cette culture et leur mode de fonctionnement. La structure familiale m'intéresse tout particulièrement!
    Françoise a retrouvé la grisaille ardennaise... nous on a du soleil à Auxerre.
    Gros bisous
    Véro

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    1. Tu constateras ces particularités quand tu viendras.
      Bises à vous deux et aux jeunes.
      P.S. : pour info, il ne fait jamais gris dans les Ardennes !

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  2. Tu as raison les ardennais ont toujours le soleil dans leur cœur... c'est celui que j'ai emmené et que je vois à Auxerre!
    Bisous
    Véro

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    1. Ce que tu ne dis pas et je l'ai constaté moi même :
      C'est toute l'énergie que tu mets à animer les ateliers. D'ailleurs, Roukia (ATSEM) est très impressionnée par cela ("je n'ai jamais vu cela en 20 ans")et elle a ajouté "Il sera obligé de ralentir à la saison chaude"
      Je suis rentrée hier. Je ne parlerai pas de la température (il paraît que je suis frileuse) ni du manque de lumière (il paraît que j'ai une mauvaise vue) ; en revanche, il va me manquer une personne qui est à 8000km et pour cela il y a skype mais bon ...!!!

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  3. Françoise a en tout cas une bonne analyse de sa capacité visuelle et de sa sensibilité dermique....
    C'est vrai que ça n'est plus trop de mon âge de passer ma journée à quatre pattes au milieu de 32 enfants ! Il va falloir que je freine, car je viens de constater que j'étais "le moins jeune" de l'école (ATSEM comprises). Aïe !

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